Sans trop y penser, les Vannetais
du bon vieux temps n'étaient pas moins à leur
insu pénétrés de cette psychologie de la
mer dont découlent les traits maîtres du caractère.
L'esprit de rêverie et l'appel obscur du mysticisme,
l'attirance de l'aventure et l'attachement au berceau familial,
le calcul du risque et le goût de sécurité
façonnent l'âme des placides Vannetais et des capitaines
au long-cours leurs ancêtres: dans le sang une hérédité
vénète irrigue les veines. Vénète,
tout le monde se le reconnaît à Vannes; la cité
ne se flatte-t-elle pas de plonger ses racines au foyer de la
capitale qui jadis tint tête aux légions romaines
avec tant d'ardeur dans une lutte inégale et de grandeur
dans une adversité injuste? Cela aussi se reverra
au cours des siècles, teinté d'un certain plaisir
de narguer le vainqueur, parce qu'un jour, on en a confiance,
le vent de l'histoire tournera comme tourne le vent du large:
les sociologues ni les matelots ne connaissent d'exemple où
il n'ait tourné.. Naviguer sur le Golfe, de la pointe
de Rhuys au port de Vannes, c'est donc accomplir un pèlerinage
aux sources. En effet, cette capitale vénète,
quand l'assiégea César, se situait face à
Port-Navalo, à Locmariaquer admet-on généralement
sans certitude de localisation, impossible faute de données
certaines de textes et de bouleversements géologiques
sur la côte.Laissons les érudits à leurs
thèses, et admettons avec le commun des mortels que les
vainqueurs, aussi cruels dans la guerre qu'intelligents dans
la paix, imposèrent aux vaincus la Pax Romana en étouffant
dans l'oeuf le danger de renaissance que le peuple rebelle avait
fait courir à l'hégémonie du conquérant.
Une pensée politique autant qu'économique
le guida: la prépondérance vénète
découlant de son commerce maritime, il la brisa définitivement
en rendant la route plus forte que la voie d'eau, seul moyen
de communication jusqu'alors.Au fond du Golfe, une bourgade
insignifiante répondait parfaitement à ces vues;
autour d'elle, les occupants développèrent en
toile d'araignée leur stratégie de routes destinées
d'abord aux convois militaires, puis, le calme persistant, à
la circulation des marchandises et des postes. Des dépôts
s'édifièrent, puis des casernes pour les troupes,
des écuries pour les chevaux, des logements pour les
familles, des hôtelleries pour les gens de passage, des
boutiques de marchands.
Le temps passant encore, la
place d'armes se doubla d'une cité administrative, une
agglomération grandit sur les pentes de la colline dont
la mer baignait le pied et dont la cathédrale couronna
le sommet: le Mené en breton, c'est le Mont en français.
Quand l'Empire Romain s'effrita puis s'écroula,
ce qui ne se fit non plus du jour au lendemain, ce Vannes primitif
devait déjà être la ville la plus importante
de la région pour que le premier chef civil connu y ait
fixé sa capitale en regroupant les populations hétéroclytes
qui l'habitaient: descendants de débris vénètes,
colons gallo-romains, émigrés de Grande-Bretagne,
fuyant les invasions normandes, lui-même habile à
leur imposer son sceptre en leur inculquant l'idée de
patriotisme. Il s'appelait Erec; le pays conserva longtemps
son nom: le Bro-Erec, c'est le Morbihan avant la lettre, de
la Vilaine au Blavet la vaste aire rurale et maritime que domine
une métropole et qui en celle-ci reconnaît sa tête,
son foyer, sa défense. Défense bien utile au cours
de siècles mouvementés. Judicieusement choisi,
le site avait favorisé la croissance de la ville, sa
prospérité lui avait valu enrichissement, suscité
des convoitises répétées: les Francs et
Pépin le Bref, les pirates normands, les Anglais pendant
la Guerre de Cent Ans représentent les pies culminants
d'une longue chaîne de batailles, déferlant sous
les murs comme la houle sur la Côte Sauvage de Quiberon,
succession d'assauts et de ripostes incitée du flux et
du reflux le long des murailles.
Parce que le noyau urbain
éclatait dans son corset de granit, celui-ci s'en trouva
modifié à diverses reprises. Les premiers
remparts formaient un triangle autour de la cathédrale,
bâtie, laissent croire de vieux grimoires, là où
les premiers comtes de Vannes auraient d'abord résidé.
Une légende y situe même le palais du roi
Arthur. Ce qui est sûr, c'est que le manoir de la
Motte où vécurent plusieurs ducs, tout proche
pourtant, se trouvait à l'extérieur de la première
enceinte. Celle que découvre actuellement le majestueux
front de créneaux et de tours, devant les lavoirs, date
du XlVe siècle, remaniée par le duc de Bretagne
Jean IV qui la prolongea jusqu'au port en y incluant le château
de l'Hermine avec, sur la place du Poids Public, ses dépendances
de douves et d'un moulin qui actionnait en cas de siège
un ruisseau souterrain détourné de la Marle près
de la Porte Poterne; lui court toujours... surveillé
par les services municipaux en cas de forte crue. Il suit
à peu de chose près le tracé antérieur
de fortifications dont les archéologues croient identifier
çà et là des vestiges. Mais il faut
être spécialiste pour les reconnaître, préciser
leur âge à coup sûr, et il arrive aux plus
érudits de s'y embrouiller comme sur une piste de jeu
d'oie semée d'obstacles...