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Après avoir flâné dans Vannes, contemplé le panorama de ses remparts, visité sa cathédrale, admiré les lignes sobres des vieux hostels et les encorbellements des maisons moyenâgeuses, après s'être égaré un instant dans le labyrinthe des petites rues comme dans les coulisses d'un théâtre, pour aboutir, au bout de ce périple, à l'hémicycle du port, il est de règle de s'y embarquer et de visiter, après la ville et ses jardins, son grand parc maritime aux orientations tout aussi déboussolantes parmi les îles que le jeu des marées semble faire trembloter sur le cinémascope de l'horizon.Approcher Vannes ainsi, c'est à la vérité mettre la charrue avant les boeufs. Au contraire mieux vaut y débarquer après avoir sillonné le ,Golfe: sans lui, la ville ne serait pas elle-même. La mer explique son passé et éclaire la lutte économique présente de vie et de survie, dénominateur commun à tous les terroirs éloignés de Paris et des frontières.Mais que diable! Vannes est un trait d'union entre pays mitoyens de l'océan, et, à l'époque des agglomérations polluées, le soleil sans écran de fumée, l'air embaumé de vagues, les grèves demeurées pures comme au premier jour de la création composent un environnement de qualité pour vivre toute l'année au pays des vacances. |
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Sans trop y penser, les Vannetais du bon vieux temps n'étaient pas moins à leur insu pénétrés de cette psychologie de la mer dont découlent les traits maîtres du caractère. L'esprit de rêverie et l'appel obscur du mysticisme, l'attirance de l'aventure et l'attachement au berceau familial, le calcul du risque et le goût de sécurité façonnent l'âme des placides Vannetais et des capitaines au long-cours leurs ancêtres: dans le sang une hérédité vénète irrigue les veines. Vénète, tout le monde se le reconnaît à Vannes; la cité ne se flatte-t-elle pas de plonger ses racines au foyer de la capitale qui jadis tint tête aux légions romaines avec tant d'ardeur dans une lutte inégale et de grandeur dans une adversité injuste? Cela aussi se reverra au cours des siècles, teinté d'un certain plaisir de narguer le vainqueur, parce qu'un jour, on en a confiance, le vent de l'histoire tournera comme tourne le vent du large: les sociologues ni les matelots ne connaissent d'exemple où il n'ait tourné.. Naviguer sur le Golfe, de la pointe de Rhuys au port de Vannes, c'est donc accomplir un pèlerinage aux sources. En effet, cette capitale vénète, quand l'assiégea César, se situait face à Port-Navalo, à Locmariaquer admet-on généralement sans certitude de localisation, impossible faute de données certaines de textes et de bouleversements géologiques sur la côte.Laissons les érudits à leurs thèses, et admettons avec le commun des mortels que les vainqueurs, aussi cruels dans la guerre qu'intelligents dans la paix, imposèrent aux vaincus la Pax Romana en étouffant dans l'oeuf le danger de renaissance que le peuple rebelle avait fait courir à l'hégémonie du conquérant. Une pensée politique autant qu'économique le guida: la prépondérance vénète découlant de son commerce maritime, il la brisa définitivement en rendant la route plus forte que la voie d'eau, seul moyen de communication jusqu'alors.Au fond du Golfe, une bourgade insignifiante répondait parfaitement à ces vues; autour d'elle, les occupants développèrent en toile d'araignée leur stratégie de routes destinées d'abord aux convois militaires, puis, le calme persistant, à la circulation des marchandises et des postes. Des dépôts s'édifièrent, puis des casernes pour les troupes, des écuries pour les chevaux, des logements pour les familles, des hôtelleries pour les gens de passage, des boutiques de marchands. Le temps passant encore, la place d'armes se doubla d'une cité administrative, une agglomération grandit sur les pentes de la colline dont la mer baignait le pied et dont la cathédrale couronna le sommet: le Mené en breton, c'est le Mont en français. Quand l'Empire Romain s'effrita puis s'écroula, ce qui ne se fit non plus du jour au lendemain, ce Vannes primitif devait déjà être la ville la plus importante de la région pour que le premier chef civil connu y ait fixé sa capitale en regroupant les populations hétéroclytes qui l'habitaient: descendants de débris vénètes, colons gallo-romains, émigrés de Grande-Bretagne, fuyant les invasions normandes, lui-même habile à leur imposer son sceptre en leur inculquant l'idée de patriotisme. Il s'appelait Erec; le pays conserva longtemps son nom: le Bro-Erec, c'est le Morbihan avant la lettre, de la Vilaine au Blavet la vaste aire rurale et maritime que domine une métropole et qui en celle-ci reconnaît sa tête, son foyer, sa défense. Défense bien utile au cours de siècles mouvementés. Judicieusement choisi, le site avait favorisé la croissance de la ville, sa prospérité lui avait valu enrichissement, suscité des convoitises répétées: les Francs et Pépin le Bref, les pirates normands, les Anglais pendant la Guerre de Cent Ans représentent les pies culminants d'une longue chaîne de batailles, déferlant sous les murs comme la houle sur la Côte Sauvage de Quiberon, succession d'assauts et de ripostes incitée du flux et du reflux le long des murailles. Parce que le noyau urbain éclatait dans son corset de granit, celui-ci s'en trouva modifié à diverses reprises. Les premiers remparts formaient un triangle autour de la cathédrale, bâtie, laissent croire de vieux grimoires, là où les premiers comtes de Vannes auraient d'abord résidé. Une légende y situe même le palais du roi Arthur. Ce qui est sûr, c'est que le manoir de la Motte où vécurent plusieurs ducs, tout proche pourtant, se trouvait à l'extérieur de la première enceinte. Celle que découvre actuellement le majestueux front de créneaux et de tours, devant les lavoirs, date du XlVe siècle, remaniée par le duc de Bretagne Jean IV qui la prolongea jusqu'au port en y incluant le château de l'Hermine avec, sur la place du Poids Public, ses dépendances de douves et d'un moulin qui actionnait en cas de siège un ruisseau souterrain détourné de la Marle près de la Porte Poterne; lui court toujours... surveillé par les services municipaux en cas de forte crue. Il suit à peu de chose près le tracé antérieur de fortifications dont les archéologues croient identifier çà et là des vestiges. Mais il faut être spécialiste pour les reconnaître, préciser leur âge à coup sûr, et il arrive aux plus érudits de s'y embrouiller comme sur une piste de jeu d'oie semée d'obstacles... |